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laissa pas de l’aller trouver, mais le prince Eugène, qui ne vouloit point, de prisonniers incertains, le renvoya libre. Cette aventure qui fit grand bruit et grand tort à Montgon, l’eût perdu auprès du roi sans Mme de Maintenon, protectrice déclarée de tout temps de sa femme, de la vieille Heudicourt, sa belle-mère.

J’appris cette nouvelle, dans ma chambre, par M. de Lauzun. Aussitôt j’allai au château où je trouvai une grande rumeur et force pelotons de gens qui raisonnoient. Le maréchal de Villeroy fut traité comme le sont les malheureux qui ont donné de l’envie[1]. Le roi prit hautement son parti et publiquement. Il témoigna, en dînant, à Mme d’Armagnac combien il était sensible au malheur de son frère, et l’excusa en montrant même de l’aigreur contre ceux qui tomboient sur lui. La vérité est que ce n’étoit pas à lui, qui arrivoit à Crémone la veille de la surprise, à savoir cet aqueduc et cette porte murée, ni, s’il y avoit déjà des soldats impériaux introduits et cachés. Crenan et le gouverneur espagnol étoient ceux qui en devoient répondre, et le maréchal ne pouvoit mieux que d’aller au premier bruit à la grande place, ni répondre de sa capture au détour d’une rue en s’y portant.

Son fils, qui étoit à Marly avec sa femme, l’amena à cette nouvelle à Versailles, où étoit la maréchale de Villeroy. J’étois extrêmement de leurs amis. Je les trouvai le lendemain dans la plus morne douleur. La maréchale, qui avoit infiniment de sens et d’esprit, et du plus aimable, n’avoit point été la dupe de l’éclat de l’envoi de son mari en Italie. Elle le connoissoit et elle craignoit les événements. Celui-ci

  1. Les recueils de chansons de cette époque sont remplis de cuuplets sur l’affaire de Crémone. On n’en peut guère extraire que ces vers souvent cités :
    François, rendez grâce à Bellone
    Votre bonheur est sans égal ;
    Vous avez conservé Crémone
    Et perdu votre général.