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sur le parti que le roi prendroit, et sur les intérêts de leurs maîtres, et gardoient à l’extérieur un grand silence. Le courtisan ne s’occupoit qu’à raisonner ; et presque tous alloient à l’acceptation.

La manière ne laissa pas d’en être agitée dans les conseils, jusqu’à y raisonner de donner la comédie au monde, et de faire disparaître le duc d’Anjou sous la conduite du nonce Gualterio qui l’emmèneroit en Espagne. Je le sus et je songeai à être de la partie. Mais ce misérable biais fut aussitôt rejeté, par la honte d’accepter à la dérobée tant de couronnes offertes, et par la nécessité prompte de lever le masque pour soutenir l’Espagne trop foible pour être laissée à ses propres forces. Comme on ne parloit d’autre chose que du parti qu’il y avoit à prendre, le roi se divertit un soir dans son cabinet à en demander leur avis aux princesses. Elles répondirent que c’étoit d’envoyer promptement M. le duc d’Anjou en Espagne, et que c’étoit le sentiment général, par tout ce qu’elles en entendoient dire à tout le monde.

« Je suis sûr, leur répliqua le roi, que quelque parti que je prenne, beaucoup de gens me condamneront. » C’étoit le samedi 13 novembre. Le lendemain matin dimanche 14, veille du départ de Fontainebleau, le roi entretint longtemps Torcy, qui avertit ensuite l’ambassadeur d’Espagne, qui étoit demeuré à Fontainebleau, de se trouver le lendemain au soir à Versailles. Cela se sut et donna un grand éveil. Les gens alertes avoient su encore que le vendredi précédent le roi avoit parlé longtemps à M. le duc d’Anjou en présence de Monseigneur et de Mgr le duc de Bourgogne, ce qui étoit si extraordinaire qu’on commença à se douter que le testament seroit accepté. Ce même dimanche, veille du départ, un courrier espagnol du comte d’Harrach passa à Fontainebleau allant à Vienne, vit le roi à son souper, et dit publiquement qu’on attendoit à Madrid M. le duc d’Anjou avec beaucoup d’impatience, et ajouta qu’il y avoit quatre grands nommés pour aller au-devant de lui.