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attira force disgrâces. Ainsi périssent en bref, et souvent avec honte, les familles de ces ministres si puissants et si riches, qui semblent dans leur fortune les établir pour l’éternité.

Lopineau, commis de Chamillart pour dresser les arrêts de finance, était perdu depuis trois mois. C’étoit un homme doux et poli, bien que commis principal, et homme à mains nettes, quoique de tout temps employé aux finances. Il étoit aimé et estimé de tout le monde, et n’étoit point marié.

Étant à Paris, et sorti une après-dînée seul à pied, il ne revint plus, et son corps fut enfin trouvé près du pont de Neuilly dans la rivière. Ce pauvre homme apparemment fut pris par des scélérats pour le rançonner et détenu longtemps, puis assassiné et jeté dans la rivière, sans que, quelque soin qu’on ait pris de le chercher puis de faire toutes les perquisitions possibles de ce crime, on en ait pu rien apprendre.

La mort de l’abbé de Vatteville fit moins de bruit, mais le prodige de sa vie mérite de n’être pas omis. Il étoit frère du baron de Vatteville, ambassadeur d’Espagne en Angleterre, qui fit à Londres, le 10 octobre 1661, une espèce d’affront au comte, depuis maréchal d’Estrades, ambassadeur de France, pour la préséance, dont les suites furent si grandes, et qui finirent par la déclaration que fit au roi le comte de Fuentès, ambassadeur extraordinaire d’Espagne, envoyé exprès, que les ambassadeurs d’Espagne, en quelque cour que ce fût n’entreroient jamais en concurrence avec les ambassadeurs de France. Cela se passa le 24 mars 1662, en présence de toute la cour et de vingt-sept ministres étrangers, dont on tira acte.

Ces Vatteville sont des gens de qualité de Franche-Comté. Ce cadet-ci se fit chartreux de borane heure, et après sa profession fut ordonné prêtre. Il avoit beaucoup d’esprit, mais un esprit libre, impétueux, qui s’impatienta bientôt du joug qu’il avoit pris. Incapable de demeurer plus longtemps