Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 3.djvu/338

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peut-être contre soi-même sans le dire, ne put être induit à chercher à la chaude à replâtrer l’affront. Il fit grand bruit dans le monde, et les choses en demeurèrent là plusieurs mois. À la fin, les amis de l’un et de l’autre s’en mêlèrent. M. le Duc, revenu tout à fait à soi, ne demanda pas mieux que de faire toutes les avances du raccommodement. Le comte de Fiesque eut la misère de les recevoir, ils se raccommodèrent, et ce qu’il y eut de plus merveilleux, c’est qu’ils vécurent tous deux ensemble depuis comme s’il ne se fût rien passé entre eux.

Le duc de La Feuillade n’avoit pu faire revenir le roi sur son compte. On a vu ci-devant le vol qu’il fit à son oncle ; la colère où le roi en fut, qui l’auroit cassé sans Pontchartrain, qui par honneur mit tout son crédit à l’empêcher.

Ses débauches de toutes les sortes, son extrême négligence pour le service, son très mauvais et très vilain régiment, son arrivée tous les ans très tard à l’armée, qu’il quittoit avant personne, tout cela le tenoit dans une manière de disgrâce très marquée. Il étoit parfaitement bien fait, avoit un air et les manières fort nobles, et une physionomie si spirituelle qu’elle réparoit sa laideur et le jaune et les bourgeons dégoûtants de son visage. Elle tenoit parole ; il avoit beaucoup d’esprit et de toutes sortes d’esprit. Il savoit persuader son mérite à qui se contentoit de la superficie, et surtout avoit le langage et le manège d’enchanter les femmes. Son commerce, à qui ne vouloit que s’amuser, étoit charmant ; il étoit magnifique en tout, libéral, poli, fort brave et fort galant, gros et beau joueur. Il se piquoit fort de toute ses qualités, fort avantageux, fort hardi, grand débiteur de maximes et de morales, et disputoit volontiers pour faire parade d’esprit. Son ambition était sans bornes, et comme il étoit sans suite pour rien comme il l’étoit pour tout, cette passion et celle du plaisir prenoient le dessus tour à tour. Il recherchoit fort la réputation et l’estime, et il avoit l’art de courtiser utilement lés personnes des deux sexes de l’approbation desquelles il