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d’Arles, depuis cardinal de Mailly, et nous nous en allâmes d’une traite à Paris en relais. Je fus ravi de la promenade pour m’entretenir avec lui plus à mon aise de choses particulières, et dans le chemin de Paris, je lui fis tant d’autres questions qu’il arriva sans voix et ne pouvant plus parler.

J’ai ci-devant parlé de la déroute de La Touanne et de Saurion, trésorier de l’extraordinaire des guerres, et que le roi fit face pour eux afin de soutenir son crédit. En conséquence, il s’empara de leurs biens. La Touanne avoit à Saint-Maur la plus jolie maison du monde, dont le jardin donnoit dans ceux de la maison de Gourville, que Catherine de Médicis avoit faits, et bâti un beau château. Gourville l’avoit donné à M. le Prince, qui en avoit fait présent à M. le Duc. Rien ne lui convenoit davantage que de joindre les jardins de La Touanne aux siens, et d’avoir sa maison pour en faire à Saint-Maur une petite maison particulière à ses plaisirs, et souvent une décharge au château quand il y étoit avec Mme la Duchesse et bien du monde. Il l’eut donc pour peu de chose du roi pendant Fontainebleau. Peu après qu’on en fut revenu, il y fut coucher avec cinq ou six de ses plus familiers. Le comte de Fiesque en était un depuis fort longtemps. À table, et avant qu’il pût y avoir de vin sur jeu, il s’éleva une dispute sur un fait d’histoire entre M. le Duc et le comte de Fiesque. Celui-ci, qui avoit de l’esprit et de la lecture, soutint fortement son opinion, M. le Duc la sienne, à qui peut-être, faute de meilleures raisons, le toupet s’échauffa à un tel excès qu’il jeta une assiette à la tête du comte de Fiesque, et le chassa de la table et du logis. Une scène si subite et si étrange épouvanta les conviés. Le comte de Fiesque, qui étoit veau là pour y coucher, ainsi que les autres, et qui n’avoit point gardé de voiture, alla demander le couvert au curé, et regagna Paris le lendemain aussi matin qu’il put. On se figure aisément que le reste du souper et du soir furent fort tristes. M. le Duc, toujours furieux, et