Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 3.djvu/226

Cette page n’a pas encore été corrigée

tout ce qui se passoit. Le roi en fut piqué et encore plus fâché. Il avoit jusque-là vécu dans la plus entière retenue, cela même avoit aidé à lui faire trouver la princesse plus à son gré ; il fut donc sensible à cette fantaisie, et par même raison aisément persuadé qu’elle ne se pousseroit pas au delà de cette première nuit. Ils ne se virent donc que le lendemain, et après qu’ils furent habillés. Ce fut un bonheur que la coutume d’Espagne ne permette pas d’assister au coucher d’aucuns mariés, non pas même les plus proches, en sorte que ce qui auroit fait un très fâcheux éclat demeura étouffé entre les deux époux, Mme des Ursins, une ou deux caméristes, et deux ou trois domestiques François intérieurs, Louville et Marsin.

Ces deux-ci cependant se mirent à consulter avec Mme des Ursins comment on pourroit s’y prendre pour venir à bout d’un enfant dont les résolutions s’exprimoient avec tant de force et de tenue. La nuit se passa en exhortations et en promesses aussi sur ce qui étoit arrivé au souper, et la reine enfin consentit à demeurer reine. Le duc de Medina-Sidonia et le comte de San- Estevan furent consultés le lendemain. Ils furent d’avis qu’à son tour le roi ne couchât point avec elle la nuit suivante pour la mortifier et la réduire. Cela fut exécuté. Ils ne se virent point en particulier de tout le jour. Le soir, la reine fut affligée. Sa gloire et sa petite vanité furent blessées, peut-être aussi avoit-elle trouvé le roi à son gré. On parla ferme aux dames du palais, et plus encore aux seigneurs qu’on soupçonna d’intelligence avec elles, et à ceux de leurs parents qui se trouvèrent là. Excuses, pardons, craintes, promesses, tout fut mis en règle et en respect, et le troisième jour fut tranquille, et la troisième nuit encore plus agréable aux jeunes époux. Le quatrième, comme tout se trouva dans l’ordre où il devoit être, ils retournèrent tous à Barcelone, où il ne fut question que d’entrées, de fêtes et de plaisirs.

Avant de partir de Madrid, le roi d’Espagne avoit ordonné