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monde qui avoit le plus de finesse dans l’esprit, sans que cela parût jamais, et de combinaisons dans la tête, et qui avoit le plus de talents pour connoître son monde et savoir par où le prendre et le mener. La galanterie et l’entêtement de sa personne fut en elle, la faiblesse dominante et surnageante à tout jusque, dans sa dernière vieillesse ; par conséquent, des parures qui ne lui alloient plus et que d’âge en âge elle poussa toujours fort au delà du sien ; dans le fond haute, fière, allant à ses fins sans trop s’embarrasser des moyens, mais tant qu’elle pouvoit sous une écorce honnête ; naturellement assez bonne et obligeante en général, mais qui ne vouloit rien à demi, et que ses amis fussent à elle sans réserve ; aussi était-elle ardente et excellente amie, et d’une amitié que les temps ni les absences n’affaiblissoient point, et conséquemment cruelle et implacable ennemie, et suivant sa haine jusqu’aux enfers ; enfin, un tour unique dans sa grâce, son art et sa justesse, et une éloquence simple et naturelle en tout ce qu’elle disoit, qui gagnoit au lieu de rebuter par son arrangement, tellement qu’elle disoit tout ce qu’elle vouloit et comme elle le vouloit dire, et jamais mot ni signe le plus léger de ce qu’elle ne vouloit pas ; fort secrète pour elle et fort sûre pour ses amis, avec une agréable gaieté qui n’avoit rien que de convenable, une extrême décence en tout l’extérieur, et jusque dans les intérieures même qui en comportent le moins, avec une égalité d’humeur qui en tout temps et en toute affaire la laissoit toujours maîtresse d’elle-même.

Telle étoit cette femme célèbre qui a si longtemps et si publiquement gouverné la cour et toute la monarchie d’Espagne, et qui a fait tant de bruit dans le monde par son règne et par sa chute, que j’ai cru nie devoir étendre pour la faire connoître et en donner l’idée qu’on en doit avoir pour s’en former une qui soit véritable.

Une personne de ce caractère fut fort sensible à un choix qui, lui ouvroit une carrière si fort à son gré ; mais elle eut