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lorsque ce même lendemain de la mort de Monsieur, des dames du palais entrant chez Mme de Maintenon où étoit le roi avec elle, et Mme la duchesse de Bourgogne sur le midi, elles l’entendirent de la pièce où elles se tenoient, joignant la sienne, chantant des prologues d’opéra. Un peu après le roi, voyant Mme la duchesse de Bourgogne fort triste en un coin de la chambre, demanda avec surprise à Mme de Maintenon ce qu’elle avoit pour être si mélancolique, et se mit à la réveiller, puis à jouer avec elle et quelques dames du palais qu’il fit entrer pour les amuser tous deux. Ce ne fut pas tout que ce particulier. Au sortir du dîner ordinaire, c’est-à-dire un peu après deux heures, et vingt-six heures après la mort de Monsieur, Mgr le duc de Bourgogne demanda au duc de Montfort s’il vouloit jouer au brelan. « Au brelan ! s’écria Montfort dans un étonnement extrême, vous n’y songez donc pas, Monsieur est encore tout chaud. — Pardonnez-moi, répondit le prince, j’y songe fort bien, mais le roi ne veut pas qu’on s’ennuie à Marly, m’a ordonné de faire jouer tout le monde, et de peur que personne ne l’osât faire le premier, d’en donner moi l’exemple. » De sorte qu’ils se mirent à faire un brelan, et que le salon fut bientôt rempli de tables de jeu.

Telle fut l’affliction du roi, telle celle de Mme de Maintenon. Elle sentoit la perte de Monsieur comme une délivrance ; elle avoit peine à retenir sa joie : elle en eût eu bien davantage à paroître affligée. Elle voyoit déjà le roi tout consolé, rien ne lui seyoit mieux que de chercher à le dissiper, et ne lui était plus commode que de hâter la vie ordinaire pour qu’il ne fût plus question de Monsieur ni d’affliction. Pour des bienséances, elle ne s’en peina point. La chose toutefois ne laissa pas d’être scandaleuse, et tout bas d’être fort trouvée telle. Monseigneur sembloit aimer Monsieur, qui lui donnoit des bals et des amusements avec toutes sortes d’attention et de complaisance ; dès le lendemain de sa mort, il alla courre le loup, et au retour trouva le