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cardinal Portocarrero toute propre à satisfaire sa haine. Il se mit donc à presser Monteléon de faire le mariage de Mortare avec sa fille, ou de lui laisser souffrir la saccade du vicaire. Le duc tira de longue, mais enfin serré de près avec une autorité aiguisée de vengeance, appuyée de la force de l’usage tourné en loi et du pouvoir alors tout-puissant du cardinal, il eut recours à Montriel, puis à Louville à qui il exposa son embarras et sa douleur. Ce dernier n’y trouva de remède que de lui obtenir une permission tacite de faire enlever sa fille par d’Urse, gentilhomme des Pays-Bas, qui s’attachoit fort à Louville, et qui en eut depuis la compagnie des mousquetaires flamands, formée sur le modèle de nos deux compagnies de mousquetaires. Monteléon avoit arrêté le mariage avec le marquis de Westerloo, riche seigneur flamand de la maison de Mérode et chevalier de la Toison d’or, qui s’étoit avancé à Bayonne, et qui sur l’incident fait par le cardinal Portocarrero n’avoit osé aller plus loin. D’Urse y conduisit la fille du duc de Monteléon qui, en arrivant à Bayonne, y épousa le marquis de Westerloo, et s’en alla tout de suite avec lui à Bruxelles, et le comte d’Urse s’en revint à Madrid. Le cardinal, qui de plus en plus serroit la mesure tant que la fuite fut arrêtée et exécutée, la sut quand le secret en fut devenu inutile, et que Monteléon compta n’avoir plus rien à craindre depuis que sa fille étoit mariée en France, et avec son mari en chemin des Pays-Bas.

Mais il ignoroit encore jusqu’à quel excès se peut porter la passion d’un prêtre tout-puissant, qui se voit échapper d’entre les mains une proie qu’il s’étoit dès longtemps ménagée. Portocarrero en furie ne se ménagea plus, alla trouver le roi, lui rendit compte de cette affaire, et lui demanda la permission de la poursuivre. Le roi, tout jeune et arrivant presque, et tout neuf encore aux coutumes d’Espagne, ne pensa jamais que cette poursuite fût autre qu’ecclésiastique, comme diocésain de Madrid, et, sans s’informer, n’en