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En y allant, il s’arrêta à Tolède, dont le cardinal étoit archevêque et y donna une superbe fête de taureaux. À Grenade, il se logea dans l’Alhambra, qui est le palais des rois, où, après avoir demeuré assez longtemps, il se mit dans la ville pour être plus commodément.

Déshonoré sur le courage, il ne l’étoit pas moins sur la probité. Personne ne se fiait à lui, et il en riait le premier, et avec cela fort haï du peuple. Il ne se soucioit ni de sa maison ni d’avoir des enfants, mais avoit la rage de gouverner et une haine mortelle contre tous les gens qui gouvernoient, et par cette seule raison. Ami intime du prince de Vaudemont, extrêmement faits l’un pour l’autre, ennemi déclaré du duc de Medina-Sidonia et de tous les Guzman, et passionné pour les jésuites, dont il avoit toujours quatre chez lui, sans lesquels il ne mangeoit point, ni ne faisoit aucune chose. Il avoit dans Madrid quatre palais, tous quatre superbes et superbement meublés, d’une étendue très vaste, que par grandeur il ne louoit point, et logeoit dans chacun par saison trois mois de l’année. Ce sont presque les seuls de Madrid où j’aie vu cour et jardin, et les plus grands qu’il y ait. C’étoit un personnage, malgré de tels défauts, très considérable, le plus grand seigneur d’Espagne, et, quoique fort laid, [il] avoit le plus grand air. Il fut pourtant la dupe du testament, et, avec tout son attachement à la reine et à la maison d’Autriche, il n’osa proférer un seul mot. Nous le reverrons bientôt sur la scène.

Le comte de Frigilliane (don Roderic Manrique de Lara), devenu grand d’Espagne par son mariage avec Marie d’Avellano, comtesse d’Aguilar, héritière, s’appeloit le comte d’Aguilar, et quoique veuf et que le comte d’Aguilar son fils fût grand d’Espagne, il continuoit d’en avoir le rang et les honneurs, qui ne se perdent point en Espagne quand on les a eus, et de porter ainsi que son fils le nom de comte d’Aguilar, quoique le plus souvent on l’appelât Frigilliane. C’étoit un grand seigneur, haut, fier, ardent, libre, à mots