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Cette démarche finit la scène que M. de Vaudemont donnoit avec tant de licence, et les mêmes partisans d’Autriche qui l’y soutenoient furent les plus ardents à le faire disparaître. Il regagna donc les Pays-Bas par le Tyrol et l’Allemagne, avec ce nouveau mérite envers l’Espagne et l’empereur, auquel le prince d’Orange ne fut pas le moins sensible, par cette haine personnelle du roi qu’il ne pouvoit émousser, ni M. de Lorraine indifférent par la situation où le roi continuoit à le tenir, bien qu’il ne se soit jamais échappé en la moindre chose à l’égard du roi. Il se faisoit honneur, au contraire, de lui porter un profond respect, et de supporter avec silence et toujours avec sagesse l’état auquel sa puissance l’avoit réduit ; mais au fond de l’âme, les héros se sentent de l’humanité, et il ne voulut rien moins que du mal à M. de Vaudemont de cette conduite, quoique lui-même fût bien éloigné de la tenir. Vaudemont étoit son cousin germain bâtard, et M. de Lorraine étoit lors dans l’apogée de sa gloire et de son autorité dans le conseil et dans la cour de l’empereur.

Tout concourut donc après ce départ précipité de Rome à faire marcher M. de Vaudemont à pas de géant. La Toison d’or, grand d’Espagne, prince de l’empire, capitaine général, tout lui fondit rapidement sur la tête, et bientôt après le grand emploi de mestre de camp général[1], et enfin de gouverneur des armes aux Pays-Bas. Élevé de la sorte et payé à proportion, il vécut avec splendeur, et comme il avoit infiniment d’esprit et d’adresse, il vint à bout d’émousser l’envie, et de se faire presque autant aimer que considérer par son crédit et respecter par ses emplois. C’étoit un homme affable, prévenant, obligeant, attentif à plaire et à servir, et qui ambitionnoit l’amour du bourgeois et de l’artisan à proportion autant que des personnes les plus distinguées. L’oisiveté de la paix lui fit recourir les bonnes fortunes, où il ne

  1. Cette dignité répondait à celle de colonel général de la cavalerie.