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à son père en 1660, n’ayant que cinq ans, sous la tutelle d’Éléonore d’Holstein sa mère, et avant qu’il eût vingt-cinq ans, il gagna plusieurs batailles en personne, et d’autres grands avantages sur les Danois.

Il en sut profiter dès 1680 contre son pays : il s’affranchit de tout ce qui bridoit l’autorité royale, parvint au pouvoir arbitraire, et, incontinent après qu’il l’eut affermi, le tourna en tyrannie. Il abolit les états généraux et anéantit le sénat desquels il tenoit toute son autorité nouvelle, et s’appliqua avec trop de succès à la destruction radicale de toute l’ancienne et grande noblesse, à laquelle il substitua des gens de rien. Il ruina tous les seigneurs et les maisons même qui, sous les deux célèbres Gustave, son père et celui de Christine, avoient le plus grandement servi sa couronne de leurs conseils et de leurs bras, et qui, dans le penchant de la Suède après la mort du grand Gustave Adolphe, l’avoient le plus fortement soutenue, et s’étoient acquis le plus de réputation en Europe. Il établit une chambre de révisions qui fit rapporter non seulement toutes les gratifications et les grâces reçues depuis l’avènement du grand Gustave Adolphe à la couronne, mais les intérêts qu’elle en estima et tous les fruits, et qui confisqua tous les biens sans miséricorde. Les plus grands et les plus riches tombèrent dans la dernière misère ; grand nombre emporta ce qu’il put dans les pays étrangers, et tout ce qu’il y avoit en Suède de noble et de considérable demeura écrasé.

Le genre obscur et cruel de la longue maladie dont il mourut a fait douter entre la main de Dieu vengeresse et le poison. Jusqu’après sa mort, son corps ne fut pas à couvert de la punition en ce monde ; le feu prit au palais où il étoit encore exposé en parade. Ce fut avec grande peine qu’on le sauva des flammes qui consumèrent tout le palais de Stockholm. Il mourut avec l’honneur d’avoir été accepté pour médiateur de la paix qui se traitoit.

Ce fut en sa faveur que le roi tint si ferme en celle de Nimègue en 1679, pour lui