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qui l’aimoit le mieux, et des assauts continuels avec lui de pièces d’esprit en prose et en vers, et de toutes sortes d’amusements, de badinages et de plaisanteries, et il y avoit bien des années que cela duroit. M. le Duc voulut l’emmener à Dijon. Santeuil s’en excusa, allégua tout ce qu’il put ; il fallut obéir, et le voilà chez M. le Duc établi pour le temps des états. C’étoient tous les soirs des soupers que M. le Duc donnoit ou recevoit, et toujours Santeuil à sa suite qui faisoit tout le plaisir de la table. Un soir que M. le Duc soupoit chez lui, il se divertit à pousser Santeuil de vin de Champagne, et de gaieté en gaieté, il trouva plaisant de verser sa tabatière pleine de tabac d’Espagne dans un grand verre de vin et de le faire boire à Santeuil pour voir ce qui en arriveroit. Il ne fut pas longtemps à en être éclairci : les vomissements et la fièvre le prirent, et en deux fois vingt-quatre heures, le malheureux mourut dans des douleurs de damné, mais dans les sentiments d’une grande pénitence, avec lesquels il reçut les sacrements et édifia autant qu’il fut regretté d’une compagnie peu portée à l’édification, mais qui détesta une si cruelle expérience.

D’autres morts suivirent de près : le baron de Beauvois d’apoplexie, duquel j’ai parlé ailleurs, que le roi regretta.

La Chaise, capitaine de la porte, et frère du P. de La Chaise, qui, d’écuyer de l’archevêque de Lyon dont il commandoit l’équipage de chasse, lui fit cette fortune. Ils ne s’y oublièrent ni l’un ni l’autre, tous deux firent toujours une profession ouverte de respect et d’attachement pour MM. de Villeroy, et La Chaise n’évitoit point de parler de l’archevêque de Lyon et de ses chasses.

C’étoit un grand échalas, prodigieux en hauteur, et si mince, qu’on croyoit toujours qu’il alloit rompre, très-bon et honnête homme ; il mourut en revenant de Bourbon, et son fils eut aussitôt sa charge, et deux jours après, le roi écrivit de sa main au P. de La Chaise qu’il donnoit à son neveu cent mille écus de brevet de retenue, qui étoit aussi un fort honnête garçon.