Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 2.djvu/368

Cette page n’a pas encore été corrigée

n’étoit pas content, et qu’on disoit un brouillon, c’est-àdire qu’il la servoit à sa mode, et point à celle de la cour. On voulut donc qu’elle le changeât, et par la même raison elle n’en voulut rien faire. On ouvrit ses lettres à ce gouverneur, et on y trouva choses qui déplurent, et qui la firent chasser. Être souveraine d’une belle terre, et sujette d’un grand roi, sont deux choses difficiles à accorder quand on se sent et qu’on veut faire ce qu’on est.

Le cardinal de Bouillon, devenu sous-doyen du sacré collège, eut le plaisir d’ouvrir la porte sainte du grand jubilé du renouvellement du siècle, par l’infirmité du cardinal Cibo, doyen. Il en fit frapper des médailles, et faire des estampes et des tableaux. On ne peut marquer un plus grand transport de joie, ni se croire plus honoré et plus grand de cette fonction, qu’il ne devoit pourtant à aucun choix : ce lui fut une consolation après l’affaire de M. de Cambrai qui lui avoit causé tant d’amertume. C’est ainsi que les gens si glorieux se montrent souvent bien petits. Jamais homme ne se montra tant l’un et l’autre.

Nos secrétaires d’État, parvenus à pas de géant où ils en sont, ne se contentèrent pas des succès domestiques ; ils en voulurent essayer d’étrangers, qui ne leur réussirent pas si bien, parce que les étrangers ne dépendent point d’eux. Le secrétaire d’État qui a le département des affaires étrangères envoie son carrosse aux entrées des ambassadeurs ; il ne dispute pas de sa personne la préséance à un ambassadeur qui a la main[1] chez les princes du sang. Mais tout modeste que frit Torcy, son carrosse s’étoit doucement coulé entre le dernier des princes du sang, et ceux d’Erino et de Ferreiro, derniers ambassadeurs de Venise et de Savoie. Le successeur d’Erino y prit garde de plus près, et ne le voulut pas souffrir ; le successeur de Ferreiro l’imita, et dit que son

  1. L’expression avoir la main signifie avoir la droite et la place d’honneur.