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ne devant se trouver à l’hommage, parce qu’aussitôt après M. de Lorraine se couvriroit et qu’eux demeureroient découverts, c’étoit une autre raison de laisser la fonction au marquis de Gesvres. J’assaisonnai cela de toutes les excuses et de tous les respects bienséants à mon âge. Il m’en parut satisfoit et goûter ce que je lui proposois. Il en raisonna avec moi, et il convint que le roi ne trouvant pas mauvais l’absence de M. de Bouillon, qui n’avoit point de survivancier, c’étoit une raison de ne pas trouver mauvaise non plus la sienne, ayant un survivancier accoutumé à le remplacer tous les soirs. Il me témoigna qu’il sentoit bien toutes les raisons que je lui venois de dire, qu’il tâcheroit de laisser la fonction à son fils, mais qu’il falloit qu’il en parlât au roi. Il ajouta : « Voyez-vous, avec l’homme à qui j’ai affaire (c’étoit le roi), il faut que je me mette bas, bas, bas comme cela (montrant de la main) pour m’élever haut après. » En cela il n’avoit pas tort et le connoissoit bien. Je me retirai louant sa prudence et flattant bien mon vieillard, content de tout, pourvu que son fils fît la fonction.

Je vis là-dessus Mme de Noailles et le duc de Béthune, ancien ami du duc de Gesvres, qui lui avoit parlé depuis moi et qui n’en avoit pas été content. Je commençai à soupçonner l’humeur fantasque de ce vieillard, à laquelle le servile surnageoit toujours. Plusieurs mesures me manquèrent. Je crus que le pis qu’il pouvoit m’arriver de lui parler encore seroit de ne pas réussir, et dans cette confiance je monte chez lui, et je le trouve s’habillant. Je fais sortir ses valets, je lui parle, il me répond froidement que le roi lui a dit que c’étoit sa fonction et qu’il la devoit faire ; qu’il n’avoit pu répliquer parce qu’à l’instant sa chaise avoit roulé, le menant au degré pour aller se promener à Marly ; cela ne m’étonna point. Je lui répondis que, la fonction étant pour l’après-dînée, il auroit encore le temps au lever du roi où il s’en alloit, ou ailleurs, de parler, et finalement, après quelques disputes toujours très-mesurées et respectueuses