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du pont, et avec la hauteur de son côté voyoit fort loin du nôtre. Il demeura ainsi tranquillement plusieurs jours, amassant quantité de fourrages du Hundsrück par ses derrières, et toutes les provisions et munitions de Mayence par un pont de bateaux qu’il jeta à trois ou quatre lieues de Bingen, où aussi il établit ses fours. Dès qu’il eut tout à souhait, il attaqua le château d’Eberbourg par un détachement de son armée qui se relevoit tous les jours. Eberbourg est un pigeonnier sur une pointe de rochers, à demi-lieue de Creutznach dans la montagne. Sa situation ni celle du pays ne demandoient point d’investiture, ni plus d’une attaque, de manière que les Impériaux faisoient ce petit siège en pantoufles.

Le maréchal de Choiseul s’étoit approché d’eux, et le bruit de leur canon était une musique piquante à entendre. De secourir ce château rien ne le permettoit ; d’attaquer le prince Louis, posté comme je viens de le représenter, parut entièrement impossible ; restoit un troisième parti, c’étoit de s’aller placer sur une hauteur au deçà de la Nave qui commandoit leur attaque, et la faire cesser par nos batteries, mais en même temps il se trouva qu’il n’y avoit pas pour trois jours de fourrages, après quoi il faudroit se retirer. Ce dernier parti n’alloit donc qu’à leur faire suspendre, trois jours durant, leur siége pour leur laisser après toute liberté, et par cela même fut jugé ridicule. Ce que le maréchal de Choiseul fit de mieux, fut d’assembler tous les officiers généraux, de leur exposer l’état des choses, et de les obliger tous à dire leur avis l’un après l’autre tout haut et devant tous. Par ce moyen il coupa court à tous les propos qui pourroient se tenir et s’écrire, parce que chacun parlant tout haut devant tant de témoins, il n’y avoit plus de porte de derrière, et c’étoit ce que le maréchal s’étoit proposé. Dans cette espèce de conseil de guerre, chacun se regarda, et fut bien étonné d’avoir à dire si publiquement qu’il ne pût se dédire ou déguiser ce qu’il auroit dit. Aucun ne fut