Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 2.djvu/32

Cette page n’a pas encore été corrigée

fraudés. Comme ils virent qu’il se moquoit d’eux, ils retournèrent tout court à Carthagène, la pillèrent de nouveau, y firent un riche butin, et y trouvèrent encore beaucoup d’argent, puis envoyèrent ici Galifet, lieutenant de roi de Saint-Domingue, qui étoit à l’expédition, porter les plaintes de Ducasse et les leurs. Pointis fut poursuivi par vingt-deux vaisseaux anglois à qui il échappa. Ils prirent quelques bâtiments flibustiers, sur lesquels il n’y avoit presque rien, et le vaisseau de Pointis qui servoit d’hôpital, où il n’y avoit que des malades et quelques pestiférés. Galifet arriva à Versailles le 20 août, et presque en même temps Pointis à Brest, malgré six vaisseaux anglois qui l’attendoient à l’entrée. Il salua le roi à Fontainebleau, le 27 septembre, de qui il fut très-bien reçu et fort loué. Il sauva toute sa prise, et présenta au roi une émeraude grosse comme le poing, et se justifia fort contre Ducasse et les flibustiers. Peu de jours après il fut fait lieutenant général, et je pense qu’il s’est mis en état d’achever sa vie fort à son aise.

J’ai laissé M. le maréchal de Choiseul au camp de Musbach qui s’avança à Odernheim. Le prince Louis de Bade avoit passé le Rhin à Mayence presque en même temps que nous à Strasbourg, et il étoit à Creutznach sur la Nave où il s’étoit retranché. La Nave est une rivière guéable partout, mais assez large, fort rapide, avec de l’eau jusqu’au poitrail des chevaux, et quelquefois plus dans son milieu ; son lit plein de gros cailloux roulants et glissants, fort incommodes ; les bords du côté du Hundsrück élevés et escarpés. Ceux du côté de l’Alsace sont plats. Creutznach est un peu élevé, il est des deux côtés avec un pont qui les joint et qui enfile directement la rivière. Le prince Louis avoit bien fortifié le côté de Creutznach du côté de l’Alsace, tenoit toute cette petite ville et son pont, et avoit son armée le long de la Nave qui couloit à sa tête, et ses flancs couverts chacun d’un ruisseau. En cette posture, il fouettoit de son camp tout ce qui pouvoit s’approcher de la rivière, qui l’étoit elle-même