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livres à emporter avec lui, et cent mille francs pour son équipage, outre toutes les remises faites en Pologne, que Samuel Bernard s’étoit chargé d’y faire payer, tant de l’argent du roi, que de celui de M. le prince de Conti. Ce prince passa le lundi, en partie à Paris, et le mardi, 3 septembre, en partit le soir, pour Dunkerque. Le célèbre Jean Bart répondit de le mener heureusement, malgré la flotte ennemie qui étoit devant ce port, et tint parole.

On vit des mouvements bien différents dans cette grande séparation. Le roi, ravi de se voir glorieusement délivré d’un prince à qui il n’avoit jamais pardonné le voyage de Hongrie, beaucoup moins l’éclat de son mérite et l’applaudissement général que jusque dans sa cour et sous ses yeux il n’avoit pu émousser par l’empressement même de lui plaire et la terreur de s’attirer son indignation, ne pouvoit cacher sa joie et son empressement de le voir éloigné pour toujours. On distinguoit aisément ce sentiment particulier de celui du foible avantage d’avoir un prince de son sang à la tête d’une nation qui figuroit peu parmi les autres du Nord, et qui laissoit encore moins figurer son roi. Tout vouloit le prince de Conti à la tête de nos armées. Cet événement étoit au roi l’importunité d’un désir et d’un jugement si universel, à son fils bien-aimé un si fâcheux contraste, et le délivroit du seul de sa maison, dont la pureté du sang ne fût point flétrie par le mélange de la bâtardise, et qui en même temps étoit l’unique dont l’entière nudité excitoit le murmure, pour n’en rien dire de plus, contre les immenses établissements de ceux qui étoient nés dans l’obscurité légale, et de ceux encore qui, étant du sang des rois, n’étoient revêtus qu’à titre de leurs mariages avec les enfants naturels.

Mme la princesse de Conti, qui sentoit le poids qui accabloit un mari qu’elle aimoit et dont elle partageoit la fortune, parut transportée de joie de se voir sur le point de régner. M. le Prince, plus sensible encore à la gloire