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expliquèrent à d’autres fortement, tellement que les ducs de Rohan, de Grammont, et les autres qui avoient pris la résolution de s’opposer à Cossé, n’osèrent pousser leur pointe, ni même en parler davantage. Je pouvois, quoique fort jeune, avoir quelque poids dans cette affaire, après ce qui s’étoit passé en celle de M. de Luxembourg. Le duc de Brissac est plus ancien que moi, et je n’avois aucune habitude avec Cossé, qui étoit un bavard fort borné et fort peu compté, qui avaloit du vin avec force mauvaise compagnie, et n’en voyoit pas fort ordinairement de bonne.

Son cousin avoit trop étrangement vécu avec ma sœur et avec mon père, pour que je pusse m’intéresser à sa maison par rapport à elle, et j’étois depuis plusieurs années en procès avec M. de Brissac et ses créanciers pour la restitution de la dot de ma sœur. C’étoient là des raisons de meilleur aloi que celles que le duc de Rohan m’avoit alléguées, et qui ne pouvoient être contre-balancées par la maréchale de Villeroy, dont je fus depuis ami intime, mais avec qui alors je n’étois guère encore qu’en connoissance, et en aucune avec son mari. Mais l’intérêt général me détermina et me toucha assez pour hasarder ma dette. Cossé, qui sut l’obligation qu’il m’avoit, accourut me remercier et m’offrir de me mettre hors d’intérêt sur ce procès, que j’avois déjà gagné une fois, et qu’on avoit renouvelé par des chicanes. Il m’en pressa même, mais je ne le voulus pas, parce que tous les créanciers de son cousin lui auroient pu faire la même loi sur cet exemple, comme beaucoup même firent sans cela ; il n’auroit pu y suffire, ni atteindre à la propriété de Brissac essentielle pour en recueillir la dignité. Je sentois bien ce que je hasardois avec une succession ruinée, ventilée, en proie aux frais et aux chicanes, et à Cossé lui-même à qui il resteroit peu ou point de bien, après s’être épuisé pour une acquisition si essentielle, où chaque intéressé le rançonneroit ; mais la même considération générale de la conservation des duchés dans les maisons me fit aussi courir