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et y entonna le Te Deum que les siens chantèrent tout de suite. Le primat, de son côté, à la tête des siens et des vingt-huit autres palatinats, proclama le prince de Conti. Le prince Radziwil, voyant ce désordre, crut pouvoir ramener le palatinat de Masovie, où il avoit quantité de vassaux, et marcha droit à lui. On lui cria qu’on le tueroit s’il s’avançoit davantage ; mais au lieu de s’intimider, il se hâta, et, saisissant l’enseigne plantée à leur tête, leur cria qu’il falloit donc le tuer ou le suivre, et tous le suivirent. Il marcha donc avec cette foule de sénateurs et de nonces à Varsovie, avec le primat, qui entra dans la cathédrale de Saint-Jean (car Varsovie est du diocèse de Posnanie), chanta le Te Deum, et fit tirer le canon dans l’arsenal, suivant les règles, les lois et les formes.

Galleran, secrétaire de l’abbé de Polignac, arriva le jeudi 11 juillet de bonne heure à Marly, avec cette bonne nouvelle ; le roi la tint secrète, et envoya à Monseigneur et à M. le prince de Conti, que le courrier du roi trouva revenant de Meudon à Marly. Après la promenade où M. le prince de Conti l’alla trouver, et qui s’acheva sans parler de Pologne, le roi, rentré chez Mme de Maintenon, y fit appeler Torcy, et envoya chercher le prince de Conti, qui se jeta à ses genoux. Il y avoit par le courrier de l’abbé de Polignac une lettre de lui et une de l’abbé de Châteauneuf, toutes deux fort courtes, qui le traitoient de roi, avec le dessus à Sa Majesté Polonaise. Le roi, après avoir félicité le prince de Conti et reçu ses remerciements, voulut aussi le traiter en roi de Pologne ; mais ce prince le supplia d’attendre que son élection fût plus certaine et hors de toute crainte de revers, pour n’être point embarrassé de lui, si, contre toute espérance, il arrivoit quelque révolution en faveur de l’électeur de Saxe. Cette modestie, qui venoit de désir, fut fort louée ; le roi y consentit, et ne laissa pas de vouloir rendre la nouvelle publique. Il sortit donc de la chambre de Mme de Maintenon dans le grand cabinet, où il