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troupes, un pays ouvert, sans places, sans liberté d’en avoir, sujet à tous les passages des troupes françaises, un pays croisé par des grands chemins marqués, dont la souveraineté est cédée, un pays enfin qui ne peut subsister que sous le bon plaisir de la France, et même des officiers de guerre ou de plume qu’elle commet dans ses provinces qui l’environnent. Mademoiselle n’alla point jusque-là : elle fut ravie de se voir délivrée de la dure férule de Madame, mariée à un prince dont toute sa vie elle avoit ouï vanter la maison, et établie à soixante-dix lieues de Paris, au milieu de la domination française.

Les derniers jours avant son départ, elle pleura de la séparation de tout ce qu’elle connoissoit ; mais on sut après qu’elle s’étoit parfaitement consolée dès la première couchée, et que du reste du voyage il ne fut plus question de tristesse.

La cour partit pour Fontainebleau, et, six jours après, le roi et la reine d’Angleterre y arrivèrent, et on ne songea plus qu’au mariage de Mademoiselle. Quatre jours avant le départ pour Fontainebleau, M. du Maine avoit perdu son fils unique. Le roi l’étoit allé voir à Clagny, où il se retira d’abord, et y pleura fort avec lui. Monseigneur et Monsieur, l’un et l’autre fort peu touchés, y trouvèrent le roi, et attendirent longtemps pour voir M. du Maine que le roi sortit d’avec lui. Quoique fort au-dessous de sept ans, le roi voulut qu’on en prit le deuil ; Monsieur désira qu’on le quittât pour le mariage, et le roi y consentit. Mme la Duchesse et Mme la princesse de Conti crurent apparemment au-dessous d’elles de rendre ce respect à Monsieur, et prétendirent hautement ne le point faire. Monsieur se fâcha ; le roi leur dit de le quitter ; elles poussèrent l’affaire jusqu’à dire qu’elles n’avoient point apporté d’autres habits. Le roi se fâcha aussi, et leur ordonna d’en envoyer chercher sur-le-champ. Il fallut obéir et se montrer vaincues, ce ne fut pas sans un grand dépit.

M. d’Elbœuf avoit tant fait qu’il s’étoit raccommodé avec M. de Lorraine. Il étoit après lui et MM. ses frères