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la Trappe, le valet de chambre du P. de La Chaise en fut le porteur.

Un donné[1] de la Trappe, d’un esprit fort supérieur à son état, qu’on appeloit frère Chanvier, conduisit ce valet de chambre. Ils arrivèrent exprès fort tard, pour trouver tout fermé. Ils couchèrent chez M. de Saint-Louis, et le lendemain, à quatre heures du matin, le valet de chambre fut introduit avec sa lettre. Il demeura quelque temps auprès de M. de la Trappe à l’entretenir, pour s’assurer par lui-même de l’état de son esprit ; il le trouva dans tout son entier, et il n’est pas étrange que ce domestique en sortit charmé. Une heure après, il fut rappelé, et comme M. de la Trappe étoit instruit des soupçons qui avoient surpris le P. de La Chaise, et que ce domestique étoit un homme de sa confiance, il lui lut lui-même sa réponse, et la fit après cacheter en sa présence tout de suite, et la lui donna, tellement que ce valet de chambre partit sans que personne à la Trappe se fût douté qu’il y fût venu. La réponse étoit la même que la précédente : M. de la Trappe étoit d’avis que la démission subsistât, et que le même D. Malachie fût nommé abbé en sa place.

Il n’en fallut pas davantage, et D. Gervaise demeura exclu. Mais il avoit si bien su rendre suspect ce D. Malachie, que le P. de La Chaise, quoique revenu de très-bonne foi de son erreur, ne voulut jamais, sous prétexte qu’il étoit Savoyard, et qu’il ne convenoit pas à l’honneur de la France qu’un étranger fût abbé de la Trappe. M. de la Trappe eut donc ordre de proposer trois sujets. Au lieu de trois il en mit quatre, et toujours ce D. Malachie le premier. On choisit [celui] qui se trouva le premier après lui sur la liste.

C’étoit un D. Jacques La Court, qui avoit été longtemps maître des novices, et en d’autres emplois dans la maison. On tint cette nomination secrète, jusqu’à ce que ce même donné de la Trappe dont

  1. On appelait donnés des souliers qui se consacraient au service d’un monastère. Ils portaient quelquefois le nom d’obZafs.