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d’entièrement secret entre M. de la Trappe et moi, et cette chose étoit telle, que j’étois certain de faire tomber tout l’artifice et la calomnie de D. Gervaise, en la disant à M. de Chartres.

Je passai le reste du voyage de Fontainebleau dans l’angoisse de laisser périr la Trappe et consumer M. de la Trappe dans cette fournaise ardente où D.

Gervaise le tenoit, ou de manquer au secret. Je ne pouvois m’en consulter à qui que ce fût, et je souffris infiniment avant que de pouvoir me déterminer.

Enfin, la pensée me vint que ce secret n’étoit peut-être que pour le salut de la Trappe, et je pris mon parti. J’étois sûr de celui de M. de Chartres, et le roi étoit en ce genre l’homme de son royaume le plus fidèle. Mme de Maintenon et M. de Cambrai ne laissoient pas M. de Chartres longtemps de suite à Chartres ; il vint à Saint-Cyr au retour de la cour à Versailles. À Saint-Cyr, personne ne le voyoit ; je lui envoyai demander à l’entretenir, il me donna le lendemain. Je lui racontai toute l’histoire de la Trappe, mais sans parler du motif véritable qui avoit fait donner la démission, qu’en cette extrémité même nous n’avions pas voulu dire au P. de La Chaise ; ensuite je lui dis le secret. Il m’embrassa à plusieurs reprises, il écrivit sur-le-champ à Mme de Maintenon, et dès qu’il eut sa réponse, une heure après, il s’en alla chez elle trouver le roi à qui il parla : c’étoit un jeudi. Le fruit de cette conversation fut que le lendemain, qui étoit le jour d’audience du P. de La Chaise, où je savois qu’il s’étoit proposé de se faire ordonner de renvoyer la démission, il eut làdessus une dispute si forte avec le roi, qu’on entendit leur voix de la pièce voisine. Le résultat fut que le P. de La Chaise eut ordre d’écrire à M. de la Trappe, comme il avoit déjà fait avant la course de D. Gervaise à Fontainebleau, que le roi vouloit savoir son véritable sentiment par lui-même, si la démission devoit avoir lieu ou être renvoyée, et au premier cas, de proposer un sujet pour être abbé ; et, pour être certain de l’état et de l’avis de M. de