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pour y en substituer une tout opposée. Prélat plus que religieux, ne se prêtant qu’à ce qui pouvoit paroître ; et devant les amis de M. de la Trappe (quand ils étoient gens à être ménagés), dans les adorations pour lui, dont tout aussitôt après il savoit se dédommager par les procédés avec lui les plus étranges.

Outre ce qu’il en coûtoit au cœur et à l’esprit de M. de la Trappe, cette conduite n’alloit pas à moins qu’à un prompt renversement de toute régularité, et à la chute d’un si saint et si merveilleux édifice. M. de la Trappe le voyoit et le sentoit mieux que personne et par sa lumière et par son expérience, lui qui l’avoit construit et soutenu de fond en comble. Il en répandoit une abondance de larmes devant son crucifix. Il savoit que d’un mot il renverseroit cet insensé, il étoit peiné pour sa maison de ne le pas faire, et déchiré de la voir périr ; mais il étoit lui-même si indignement traité tous les jours et à tous les moments de sa vie, que la crainte extrême de trouver, même involontairement, quelque satisfaction personnelle à se défaire de cet ennemi et de ce persécuteur le retenoit tellement là-dessus, qu’à moi-même il me dissimuloit ses peines et me persuadoit tant qu’il pouvoit que cet abbé faisoit très-bien en tout, et qu’il en étoit parfaitement content. Il ne mentoit pas assurément, il se plaisoit trop dans cette nouvelle épreuve, qui se peut dire la plus forte de toutes celles par lesquelles il a été épuré, et il ne craignoit rien tant que de sortir de cette fournaise. Il excusoit donc tout ce qu’il ne pouvoit nier, et avaloit à longs traits l’amertume de ce calice. Si M. Maisne et un ou deux anciens religieux le pressoient sur la ruine de sa maison, à qui il ne pouvoit dissimuler ce qu’ils voyoient et sentoient eux-mêmes, il répondoit que c’étoit l’œuvre de Dieu, non des hommes, et qu’il avoit ses desseins et qu’il falloit le laisser faire.

M. Maisne étoit un séculier qui avoit beaucoup de lettres, infiniment d’esprit, de douceur, de candeur, et de l’esprit le