Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 2.djvu/202

Cette page n’a pas encore été corrigée

— Non, sire, répondit-il, je n’y pourrois résister, je retournerois en arrière, il faut faire le sacrifice entier et s’enfuir. » Il passoit sa vie dans toutes sortes de bonnes œuvres, dans une pénitence dure jusqu’à l’indiscrétion, et alloit le carnaval tous les ans à la Trappe ; il y demeuroit jusqu’à Pâques, où, excepté le travail des mains, il menoit en tout la même vie que les religieux.

C’étoit un homme d’une grande dureté pour soi, d’un esprit au-dessous du médiocre, qui s’entêtoit aisément et qui ne revenoit pas de même, de beaucoup de zèle qui n’étoit pas toujours réglé, mais d’une grande fidélité à sa pénitence, à ses œuvres, et qui se jetoit la tête la première dans tout ce qu’il croyoit de meilleur. Avant sa retraite fort honnête homme et fort sûr, très capable d’amitié, doux et bon homme. On le connoîtra encore mieux en ajoutant qu’il avoit une sœur mariée en Lorraine à un Beauvau, avec qui il étoit fort uni, et que son neveu, fils de ce mariage, épousa une nièce de Couronges, que nous allons voir venir conclure le mariage de M. de Lorraine avec la dernière fille de Monsieur. [C’est] cette nièce, qui, sous le nom de Mme de Craon que portoit son mari, fut dame d’honneur de Mme la duchesse de Lorraine, et fit, par le crédit qu’elle prit auprès de M. de Lorraine, une si riche maison et son mari grand d’Espagne, puis prince de l’empire, qui a eu depuis l’administration de la Toscane et la Toison de l’empereur, que j’ai fort connu par rapport à son oncle et qui est demeuré depuis toujours de mes amis.

Tout cela dit, venons à ce qui m’a engagé à l’écrire. On a vu en son temps que M. de la Trappe avoit obtenu du roi un abbé régulier de sa maison et de son choix, auquel il s’étoit démis pour ne plus penser qu’à son propre salut après avoir si longtemps contribué à celui de tant d’autres. On a vu aussi que cet abbé mourut fort promptement après, et que le roi agréa celui qui lui fut proposé par M. de la Trappe pour en remplir la place. Mais pour saints, pour