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retranchements le lendemain, et jusqu’à la munition distribuée aux troupes, il lui arriva sur le midi un courrier de Barbezieux, avec un ordre positif du roi de repasser le Rhin sur-le-champ, toutes choses, toutes raisons et toutes représentations cessantes, et sans délai d’un moment. Le maréchal qui m’avoit confié son projet me fit les plaintes les plus amères, à moi et aux généraux qui étoient du secret. Il ne douta pas que cet ordre ne lui eût été attiré par le marquis d’Huxelles, sur lequel, tout sage et tout mesuré qu’il étoit, il s’échappa entre Lafréselière, du Bourg, Praslin et moi. Il se voyoit arracher sa gloire et une exécution dont l’importance influoit si fort sur la paix qui se traitoit, ou si elle ne se concluoit pas, sur toute la suite de la guerre ; mais il fallut obéir, et sans que le prince Louis de Bade eût songé à passer le Rhin, il nous fallut le repasser le lendemain sur le pont de Strasbourg à travers des eaux et des fanges inconcevables.

Je passai un jour entier dans la ville avec cinq ou six de mes amis, à nous reposer dans la maison de M. Rosen, qu’il me prêtoit toutes les campagnes. Il y eut quelques petites escarmouches à l’arrière-garde, que Villars, qui n’étoit chargé de rien, fit tout ce qu’il put pour tourner en combat où il n’avoit rien à perdre, et pouvoit gagner de l’honneur, parce que rien ne rouloit sur lui, et il fut enragé d’en être empêché par La Bretesche qui étoit de jour, et par Bartillac, lieutenant général de l’aile, qui avoient les plus expresses défenses du maréchal de laisser rien engager. L’armée campa sous Strasbourg, sans entrer dans la ville, puis traversa l’Alsace par lignes et par brigades, le plus légèrement qu’il se put, et s’alla remettre en front de bandière à Musbach qui étoit le camp du prince Louis de Bade, l’année précédente, lorsque notre armée étoit dans le Spirebach. Je l’y laisserai reposer, pour parler de l’affaire de Pologne et de M. le prince de Conti, dont nous apprîmes l’élection à Niederbühl. Comme nous y étions tout proche des