Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 2.djvu/187

Cette page n’a pas encore été corrigée

toutes sortes de liqueurs chaudes et froides, et tout ce qui peut être le plus vastement et le plus splendidement compris dans le genre de rafraîchissements ; les vins françois, étrangers, ceux de liqueur les plus rares, y étoient comme abandonnés à profusion, et les mesures y étoient si bien prises que l’abondance de gibier et de venaison arrivoit de tous côtés, et que les mers de Normandie, de Hollande, d’Angleterre, de Bretagne, et jusqu’à la Méditerranée, fournissoient tout ce qu’elles avoient de plus monstrueux et de plus exquis à jour et point nommés, avec un ordre inimitable, et un nombre de courriers et de petites voitures de poste prodigieux. Enfin jusqu’à l’eau, qui fut soupçonnée de se troubler ou de s’épuiser par le grand nombre de bouches, arrivoit de SainteReine, de la Seine et des sources les plus estimées, et il n’est possible d’imaginer rien en aucun genre qui ne fût là sous la main, et pour le dernier survenant de paille comme pour l’homme le plus principal et le plus attendu.

Des maisons de bois meublées comme les maisons de Paris les plus superbes, et tout en neuf et fait exprès, avec un goût et une galanterie singulière, et des tentes immenses, magnifiques, et dont le nombre pouvoit seul former un camp. Les cuisines, les divers lieux, et les divers officiers pour cette suite sans interruption de tables et pour tous leurs différents services, les sommelleries, les offices, tout cela formoit un spectacle dont l’ordre, le silence, l’exactitude, la diligence et la parfaite propreté ravissoit de surprise et d’admiration.

Ce voyage fut le premier où les dames traitèrent d’ancienne délicatesse ce qu’on n’eût osé leur proposer ; il y en eut tant qui s’empressèrent à être du voyage, que le roi lâcha la main, et permit à celles qui voudroient de venir à Compiègne. Mais ce n’étoit pas où elles tendoient : elles vouloient toutes être nommées, et la nécessité, non la liberté du voyage, et c’est ce qui leur fit sauter le bâton de s’entasser dans les carrosses des princesses. Jusqu’alors,