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affaires domestiques, ne fit jamais semblant de se douter de rien, et sa femme évita avec grand soin tout ce qui pouvoit trop marquer ; mais assidue à la cour, imposant à tout ce qui la composoit, dominant les ministres, et ayant tant qu’elle vouloit des audiences du roi dans son cabinet, quand il s’agissoit de grâces ou de choses qui devoient avoir des suites. Afin qu’il ne parût pas qu’elle les eût obtenues dans des moments plus secrets, elle se mettoit tout habillée aux heures publiques de cour, à la porte du cabinet. Dès que le roi l’y voyoit, il alloit toujours à elle avec un air plus qu’ouvert, mais en quelque sorte respectueux. Si ce qu’elle vouloit dire étoit court, l’audience se passoit ainsi à l’oreille devant tout le monde ; s’il y en avoit pour plus longtemps, elle demandoit d’entrer. Le roi la menoit dans le fond du premier cabinet, joignant la pièce off étoit tout le monde, les battants de la porte du cabinet demeuroient ouverts jusqu’à ce qu’elle sortit de ce même côté, et de celui des autres cabinets, et cela s’est toujours passé de la sorte.

Mais le plaisant, c’est que ces portes ne demeuroient ouvertes que pour elle, et se fermoient toujours quand le roi donnoit audience à d’autres dames.

Depuis qu’il n’y eut plus rien entre eux, l’amitié et la même considération subsistèrent, et les mêmes précautions de bienséance. Elle écrivoit très-souvent au roi et de Versailles à Versailles. Le roi lui répondoit toujours de sa main, et c’étoient Bontems ou Bloin qui les rendoient au roi et faisoient passer ses réponses. C’est de la sorte qu’elle fit M. de Soubise prince par degrés et par occasions, et que peu à peu elle en obtint tout le rang.

Ce fut pourtant Monsieur dont ils se servirent pour faire asseoir la Bautru, veuve de M. de Rannes, que le prince de Montauban, frère du prince de Guéméné, épousa en 1681. Elle jouoit fort chez Monsieur. M. de Montauban n’avoit point de rang, quoique sa belle-sœur fût assise, leur père vivant et point démis par le crédit de Mme de Soubise,