Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 2.djvu/16

Cette page n’a pas encore été corrigée

tant de justesse, qu’avec le signal d’un bâton levé en l’air avec du blanc au bout de distance en distance, ce ne fut qu’une même chose que détendre, charger, monter à cheval, marcher, et quoique au petit pas, perdre les ennemis de vue. Comme il ne restoit nulle sorte d’équipage au camp, et que tout étoit sellé et bridé, cette grande armée disparut en un moment, en plein jour, aux yeux des ennemis. L’armée marcha sur deux colonnes. Le régiment colonel général de cavalerie fit l’arrière-garde de la gauche avec du canon, et le prince de Talmont ensuite avec les gardes ordinaires ; enfin, un détachement de cavalerie, sous un lieutenant-colonel qui étoit commandé tous les jours à Rastadt. Le bonhomme Lafréselière, lieutenant général, conduisoit cette arrière-garde. Le maréchal fit celle de la droite avec la gendarmerie et quelques détachements derrière elle, et Chamaraude fit avec tous les grenadiers de l’armée l’arrière-garde de tout.

Montgon, qui par son poste devoit être avec nous, obtint du maréchal de demeurer auprès de lui. Avant la nuit noire, presque toute l’armée avoit débouché tous les bois et étoit entrée dans la plaine de Stolhofen. Ceux des généraux impériaux qui se trouvèrent à la promenade accoururent de toutes parts sur les bords de la Murg pour voir ce décampement, mais il fut si prompt qu’il ne leur donna pas loisir de faire la moindre contenance d’inquiéter cette retraite, l’une des plus belles qu’on ait vues.

Somières, capitaine de cavalerie au régiment de La Feuillade, avoit été pris à ce fourrage du marquis de Chamilly dont j’ai parlé, et fut renvoyé quelques jours après cette retraite. Il rapporta au maréchal de Choiseul, en ma présence, que les Impériaux, fondés sur ce convoi de Saint-Frémont, ne crurent point que notre armée marchât de quelques jours ; que le 19 juillet, jour de cette belle retraite, le prince Louis de Bade rentroit de la promenade avec le duc de Lorraine, et venoit de mettre pied à terre, lorsqu’on le vint avertir à toutes jambes que nous décampions ;