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faire ; tout courut fourrager cette plaine jusqu’entre les vedettes des ennemis, et à l’entière merci de leurs gardes et de leur camp.

Ces débandés furent plus heureux que sages ; leur extrême témérité fut leur salut. Les ennemis n’imaginèrent jamais que ce fût désobéissance et extravagance : ils la prirent pour un piège qu’on leur tendoit ; jamais pas un d’eux ne branla. Tout le fourrage revint en abondance ; il n’y eut pas un cheval de perdu, ni un homme à dire ni blessé. Je ne pense pas que jamais folie ait été en même temps et si générale et si heureuse.

Après qu’on se fut bien accommodé dans ce camp, il se trouva que les convois qu’on tiroit du fort Louis étoient incommodes et périlleux. On jeta donc à trois lieues du quartier général un pont de bateaux sur le Rhin, à l’endroit d’une île qui étoit séparée de notre bord par un bras étroit. Le chemin du pont au camp étoit couvert d’un marais ; mais ce marais, cru impraticable, se le trouva si peu que nos convois suivirent toujours leur premier chemin, et que ce pont ne fut qu’une inquiétude de plus, que les ennemis ne vinssent le brûler de notre bord à l’île, ce qui en fit ôter les trois premiers bateaux toutes les nuits. Il servit seulement à l’abondance du camp par le commerce avec les paysans d’Alsace ; et La Bretesche, lieutenant général, fut chargé de tout ce côté-là. Chamilly fit un grand fourrage du côté de la montagne. Au retour il trouva force hussards soutenus par Vaubonne avec des troupes. Il y eut une petite action ; Vaubonne fut chassé l’épée dans les reins jusqu’à un petit ruisseau, qui, avec les approches de la nuit, le délivra de la poursuite. Praslin s’y distingua fort ; il y eut assez de gens des ennemis tués, et fort peu des nôtres.

M. le maréchal de Choiseul demeura seize jours dans ce camp ; les fourrages vinrent à manquer tout à fait, il fallut songer à en sortir. On défit le pont de bateaux, et tout aussitôt le bruit se répandit qu’on alloit décamper. Pour l’apaiser, Saint-Frémont fut détaché le 18 avec presque tous les