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[1692]
MARIAGE DU DUC DE CHARTRES.

tant qu’il pouvoit : « Place, place à Mme Charlotte Séguier ! » Aucune duchesse ne fit sa cour à ce dîner que la duchesse de Sully et la duchesse du Lude, fille et belle-fille de Mme de Verneuil, ce que toutes les autres trouvèrent si mauvais qu’elles n’osèrent plus y retourner. L’après-dînée, le roi et la reine d’Angleterre vinrent à Versailles avec leur cour. Il y eut grande musique, grand jeu, où le roi fut presque toujours fort paré et fort aise, son cordon bleu par-dessus comme la veille. Le souper fut pareil au dîner. Le roi d’Angleterre ayant la reine sa femme à sa droite et le roi à sa gauche ayant chacun leur cadenas[1]. Ensuite on mena les mariés dans l’appartement de la nouvelle duchesse de Chartres, à qui la reine d’Angleterre donna la chemise, et le roi d’Angleterre à M. de Chartres, après s’en être défendu, disant qu’il étoit trop malheureux. La bénédiction du lit se fit par le cardinal de Bouillon, qui se fit attendre un quart d’heure, ce qui fit dire que ces airs-là ne valoient rien à prendre pour qui revenoit comme lui d’un long exil, où la folie qu’il avoit eue de ne pas donner la bénédiction nuptiale à Mme la duchesse s’il n’étoit admis au festin royal, l’avoit fait envoyer.

Le mardi gras grande toilette de Mme de Chartres, où le roi et la reine d’Angleterre vinrent, et où le roi se trouva avec toute la cour ; la messe du roi ensuite ; puis le dîner comme la veille. On avoit dès le matin renvoyé Mme de Verneuil à Paris, trouvant qu’elle en avoit eu sa suffisance. L’après-dînée, le roi s’enferma avec le roi et la reine d’Angleterre ; et puis grand bal comme le précédent, excepté que la nouvelle duchesse de Chartres y fut menée par Mgr le duc de Bourgogne. Chacun eut le même habit et la même danseuse qu’au précédent.

Je ne puis passer sous silence une aventure fort ridicule

  1. Coffret de métal précieux contenant la cuiller, la fourchette et le couteau. Le cadenas étoit un signe distinctif des princes et des seigneurs du plus haut rang.