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FONTAINE-MARTEL ET SA FEMME.

grande réputation dans ses ambassades. Il étoit chevalier de l’ordre et conseiller d’État d’épée, et mourut des fatigues de l’armée et de son emploi sans avoir été marié, au printemps de 1694, à Valenciennes. Ce fut à cette qualité de frère de M. d’Arcy que la charge fut donnée. Sa femme étoit fille posthume de M. de Bordeaux, mort ambassadeur de France en Angleterre, et de Mme de Bordeaux, qui, pour une bourgeoise, étoit extrêmement du monde et amie intime de beaucoup d’hommes et de femmes distingués. Elle avoit été belle et galante ; elle en avoit conservé le goût dans sa vieillesse, qui lui avoit conservé aussi des amies considérables. Elle avoit élevé sa fille unique dans les mêmes mœurs : l’une et l’autre avoient de l’esprit et du manège. Mme de Fontaine-Martel s’étoit ainsi trouvée naturellement du grand monde ; elle étoit fort de la cour de Monsieur. La place de confiance que M. d’Arcy, son beau-frère, y remplit si dignement lui donna de la considération, et tout cela ensemble leur valut cette lucrative charge.

Le lundi gras, toute la royale noce et les époux superbement parés se rendirent un peu avant midi dans le cabinet du roi, et de là à la chapelle. Elle étoit rangée à l’ordinaire comme pour la messe du roi, excepté qu’entre son prie-Dieu et l’autel étoient deux carreaux pour les mariés, qui tournoient le dos au roi. Le cardinal de Bouillon tout revêtu y arriva en même temps de la sacristie, les maria et dit la messe. Le poêle fut tenu par le grand maître et par le maître des cérémonies, Blainville et Sainctot. De la chapelle on alla tout de suite se mettre à table. Elle étoit en fer à cheval. Les princes et les princesses du sang y étoient placés à droite et à gauche, suivant leur rang, terminés par les deux bâtards du roi, et pour la première fois, après eux la duchesse de Verneuil ; tellement que M. de Verneuil, bâtard d’Henri IV, devint ainsi prince du sang, tant d’années après sa mort sans s’être jamais douté de l’être. Le duc d’Uzès le trouva si plaisant, qu’il se mit à marcher devant elle, criant