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BATAILLE NAVALE DE LA HOGUE.

sais combien de vaisseaux pris ou coulés à fond. L’autre, ravi d’avoir su tirer ce secret, redouble de questions pour se mettre bien au fait du détail qu’il vouloit se bien mettre dans la tête ; et dès la première poste donne des deux, s’échappe et arrive le premier, d’autant plus aisément que l’autre avoit peu de hâte et lui vouloit donner le loisir de triompher.

Le premier courrier arrive, raconte son aventure à Barbezieux qui sur-le-champ le mène au roi. Voilà une grande joie, mais une grande surprise de la recevoir ainsi de traverse. Le roi envoie chercher Châteauneuf, qui dit n’avoir ni lettres ni courrier, et qui ne sait ce que cela veut dire. Quatre ou cinq heures après arrive l’autre courrier chez Châteauneuf, qui s’empresse de lui demander des nouvelles de la victoire qu’il apporte ; l’autre lui dit modestement d’ouvrir ses lettres ; il les ouvre et trouve la défaite. L’embarras fut de l’aller apprendre au roi, qui manda Barbezieux et lui lava la tête. Ce contraste l’affligea fort, et la cour parut consternée. Toutefois le roi sut se posséder, et je vis, pour la première fois, que les cours ne sont pas longtemps dans l’affliction ni occupées de tristesse.

Le gouvernement de Namur et son comté fut donné à Guiscard. Il étoit maréchal de camp, mais fort oublié et fort attaché à ses plaisirs. Il avoit le gouvernement de Sedan qu’il conserva, et qu’il avoit eu de La Bourlie, son père, sous-gouverneur du roi, et il étoit encore gouverneur de Dinant qui lui fut aussi laissé. La surprise du choix fut grande, ainsi que la douleur de ceux de Namur, accoutumés à n’avoir pour gouverneurs que les plus grands seigneurs des Pays-Bas. Guiscard eut le bon esprit de réparer ce qui lui manquoit par tant d’affabilité et de magnificence, par une si grande aisance dans toute la régularité du service d’un gouvernement si jaloux, qu’il se gagna pour toujours le cœur et la confiance de tout son gouvernement et des troupes qui s’y succédèrent à ses ordres.