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[1692]
BATAILLE NAVALE DE LA HOGUE.

trompées, la prodigieuse supériorité des ennemis, et le défaut des ports et de tout lieu de retraite si la victoire demeuroit aux Anglois, qui brûleroient sa flotte et perdroient le reste de la marine du roi. Ses représentations furent inutiles, il eut ordre de combattre, fort ou foible, où que ce fût. Il obéit, il fit des prodiges que ses seconds et ses subalternes imitèrent, mais pas un vaisseau ennemi ne mollit et ne tourna. Tourville fut accablé du nombre, et quoiqu’il sauvât plus de navires qu’on ne pouvoit espérer, tous presque furent perdus ou brûlés après le combat dans la Hogue. Le roi d’Angleterre, de dessus le bord de la mer, voyoit le combat, et il fut accusé d’avoir laissé échapper de la partialité en faveur de sa nation, quoique aucun d’elle ne lui eût tenu les paroles sur lesquelles il avoit emporté de faire donner le combat.

Pontchartrain étoit lors secrétaire d’État, ayant le département de la marine, ministre d’État, et en même temps contrôleur général des finances. Ce dernier emploi l’avoit fait demeurer à Paris, et il adressoit ses courriers et ses lettres pour le roi à Châteauneuf son cousin, Phélypeaux comme lui et aussi secrétaire d’État, qui en rendoit compte au roi. Pontchartrain dépêcha un courrier avec la triste nouvelle, mais tenue en ces premiers moments dans le dernier secret. Un courrier de retour à Barbezieux, secrétaire d’État ayant le département de la guerre, l’alloit de hasard retrouver en ce même moment devant Namur. Il joignit bientôt celui de Pontchartrain, moins bon courrier et moins bien servi sur la route. Ils lièrent conversation, et celui de terre fit tout ce qu’il put pour tirer des nouvelles de celui de la mer. Pour en venir à bout il courut quelques heures avec lui. Ce dernier, fatigué de tant de questions, et se doutant bien qu’il en seroit gagné de vitesse, lui dit enfin qu’il contenteroit sa curiosité, s’il lui vouloit donner parole d’aller de conserve, et de ne le point devancer, parce qu’il avoit un grand intérêt de porter le premier une si bonne nouvelle ; et tout de suite, lui dit que Tourville a battu la flotte ennemie, et lui raconte je ne