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[1692]
MA PREMIÈRE CAMPAGNE,

Le roi s’étoit roidi à n’excepter aucun de ceux qui entroient dans le service, excepté les seuls princes du sang et ses bâtards, de la nécessité de passer une année dans une de ses deux compagnies des mousquetaires, à leur choix, et de là, à apprendre plus ou moins longtemps à obéir, ou à la tête d’une compagnie de cavalerie, ou subalterne dans son régiment d’infanterie qu’il distinguoit et affectionnoit sur tous autres, avant de donner l’agrément d’acheter un régiment de cavalerie ou d’infanterie, suivant que chacun s’y étoit destiné. Mon père me mena donc à Versailles où il n’avoit encore pu aller depuis son retour de Blaye, où il avoit pensé mourir. Ma mère l’y étoit allée trouver en poste et l’avoit ramené encore fort mal, en sorte qu’il avoit été jusqu’alors sans avoir pu voir le roi. En lui faisant sa révérence, il me présenta pour être mousquetaire, le jour de Saint-Simon Saint-Jude, à midi et demi, comme il sortoit du conseil.

Sa Majesté lui fit l’honneur de l’embrasser par trois fois, et comme il fut question de moi, le roi, me trouvant petit et l’air délicat, lui dit que j’étois encore bien jeune, sur quoi mon père répondit que je l’en servirois plus longtemps. Là-dessus, le roi lui demanda en laquelle des deux compagnies il vouloit me mettre, et mon père choisit la première, à cause de Maupertuis, son ami particulier, qui en étoit capitaine. Outre le soin qu’il s’en promettoit pour moi, il n’ignoroit pas l’attention avec laquelle le roi s’informoit à ces deux capitaines des jeunes gens distingués qui étoient dans leurs compagnies, surtout à Maupertuis, et combien leurs témoignages influoient sur les premières opinions que le roi en prenoit, et dont les conséquences avoient tant de suites. Mon père ne se trompa pas, et j’ai eu lieu d’attribuer aux bons offices de Maupertuis la première bonne opinion que le roi prit de moi.

Ce Maupertuis se disoit de la maison de Melun et le disoit de bonne foi ; car il étoit la vérité et l’honneur et la probité