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INTRODUCTION.

de qui il aura été instruit, aux choses qu’il raconte ; et c’est en ce dernier cas où tout amour-propre, toute inclination, toute aversion, et toute espèce d’intérêt doit disparaître devant la plus petite et la moins importante vérité, qui est l’âme et la justification de toute histoire, et qui ne doit jamais pour quoi que ce puisse être souffrir la moindre ternissure, et être toujours exposée toute pure et tout entière.

Mais un chrétien, et qui veut l’être, peut-il écrire et lire l’histoire ? Les faits secs, il est vrai, accablent inutilement ; ajoutez-y les actions nues des personnages qui y ont eu part, il ne s’y trouvera pas plus d’instruction, et le chaos n’en sera qu’augmenté sans aucun fruit. Quoi donc, les caractères, les intrigues, les cabales de ces personnages pour entendre les causes et les suites des événements ? Il est vrai que sans cela ils demeureroient inintelligibles, et qu’autant vaudroit-il ignorer ce qui charge sans apprendre, et par conséquent sans instruire. Mais la charité peut-elle s’accommoder du récit de tant de passions et de vices, de la révélation de tant de ressorts criminels, de tant de vues honteuses, et du démasquement de tant de personnes, pour qui sans cela on auroit conservé de l’estime, ou dont on auroit ignoré les vices et les défauts ? Une innocente ignorance n’est-elle pas préférable à une instruction si éloignée de la charité ? et que peut-on penser de celui qui, non content de celle qu’il a prise par lui-même ou par les autres, la transmet à la postérité, et lui révèle tant de choses de ses frères, ou méprisables ou souvent criminelles ? Voilà, ce me semble, l’objection dans toute sa force. Elle disparaîtroit par la seule citation de ce qui a été dit, au commencement de ce discours, de l’exemple du Saint-Esprit ; mais on s’est proposé de la détruire, même sans s’avantager de l’autorité divine, après laquelle il n’est plus permis de raisonner quand elle a décidé, comme on croit qu’elle l’a fait sur la question qu’on agite.

Ne se permettre aucune histoire au deçà de ce que l’Écri-