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xv
INTRODUCTION.

pouvez les lire si vous en avez le temps ; mais, en attendant, on a sur l’homme et sur sa nuance distinctive et neuve les choses dites, les choses essentielles et fines, et comme personne autre n’aurait su nous les dire. — M. de Luxembourg a été un adversaire de Saint-Simon ; il a été sa partie devant le Parlement, après avoir été son général à l’armée ; il a été l’objet de sa première grande colère, de sa première levée de boucliers comme duc et pair. Est-ce à dire que son portrait par Saint-Simon en sera moins vrai, de cette vérité qui saisit, et qui, d’ailleurs, se rapporte bien à ce que disent les contemporains, mais en serrant l’homme de plus près qu’ils n’ont fait ?

« … À soixante-sept ans, il s’en croyoit vingt-cinq, et vivoit comme un homme qui n’en a pas davantage. Au défaut de bonnes fortunes, dont son âge et sa figure l’excluoient, il y suppléoit par de l’argent, et l’intimité de son fils et de lui, de M. le prince de Conti et d’Albergotti, portoit presque toute sur des mœurs communes et des parties secrètes qu’ils faisoient ensemble avec des filles. Tout le faix des marches et des ordres de subsistances portoit toutes les campagnes sur Puységur, qui même dégrossissoit les projets. Rien de plus juste que le coup d’œil de M. de Luxembourg, rien de plus brillant, de plus avisé, de plus prévoyant que lui devant les ennemis, ou un jour de bataille, avec une audace, une flatterie, et en même temps un sang-froid qui lui laissoit tout voir et tout prévoir au milieu du plus grand feu, et du danger et du succès les plus imminent, et c’étoit là où il étoit grand. Pour le reste, la paresse même : peu de promenades sans grande nécessité ; du jeu, de la conversation avec ses familiers, et tous les soirs un souper avec un très-petit nombre, presque toujours le même, et si on étoit voisin de quelque ville, on avoit soin que le sexe y fût agréablement mêlé. Alors il étoit inaccessible à tout, et s’il arrivoit quelque chose de pressé, c’étoit à Puységur à y donner ordre. Telle étoit à l’armée la vie de ce grand général, et telle encore à Paris, où la cour et le grand monde occupoient ses journées, et les soirs ses plaisirs. À la fin, l’âge, le tempérament, la conformation le trahirent… »

Est-ce que vous croyez que M. de Luxembourg ainsi présenté dans un brillant de héros et dans ses vices est calomnié ? Bien moins connu, bien moins en vue, vous avez dès les premières pages le vieux Montal, « ce grand vieillard