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ou le moins ; et que toute la grâce que je lui demandois étoit de m’accorder sa fille et de faire faire le contrat de mariage tout comme il lui,plairoit ; que ma mère et moi signerions sans aucun examen.

Le duc eut sans cesse les yeux collés sur moi pendant que je lui parlai. Il merépondit en homme pénétré de reconnoissance, et de mon désir, et de ma franchise, et de ma confiance. Il m’expliqua l’état de sa famille, après m’avoir demandé un peu de temps pour en parler à Mme de Beauvilliers, et voir ensemble ce qu’ils pourroient faire. Il me dit donc que, de ses huit filles, l’aînée étoit entre quatorze et quinze ans ; la seconde très-contrefaite et nullement mariable ; la troisième entre douze et treize ans ; toutes les autres, des enfants qu’il avoit à Montargis, aux Bénédictines, dont il avoit préféré la vertu et la piété qu’il y connoissoit, à des couvents plus voisins où il auroit eu le plaisir de les voir plus souvent. Il ajouta que son aînée vouloit être religieuse ; que la dernière fois qu’il l’avoit été voir de Fontainebleau, il l’y avoit trouvée plus déterminée que jamais ; que, pour le bien, il en avoit peu ; qu’il ne savoit s’il me conviendroit, mais qu’il me protestoit qu’il n’y avoit point d’efforts qu’il ne fît pour moi de ce côté-là. Je lui répondis qu’il voyoit bien, à la proposition que je lui faisois, que ce n’étoit pas le bien qui m’amenoit à lui, ni même sa fille que je n’avois jamais vue, que c’étoit lui qui m’avoit charmé et que je voulois épouser avec Mme de Beauvilliers. « Mais, me dit-il, si elle veut absolument être religieuse ? — Alors, répliquai-je, je vous demande la troisième. » À cette proposition, il me fit deux objections : son âge et la justice de lui égaler l’aînée pour le bien, si le mariage de la troisième fait, cette aînée changeoit d’avis et ne vouloit plus être religieuse, et l’embarras où cela le jetteroit. À la première, je répondis par l’exemple domestique de sa belle-sœur, plus jeune encore lorsqu’elle avoit épousé le feu duc de Mortemart ; à l’autre, qu’il me donnât la troisième, sur le pied