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besoin pour nettoyer le mien, qui étoit fort en désordre, et M. de Beauvilliers avoit deux fils et huit filles. Malgré tout cela, mon goût l’emporta, et ma mère l’approuva.

Le parti pris, je crus qu’aller droit à mon but, sans détours et sans tiers, auroit plus de grâce ; ma mère me remit un état bien vrai et bien exact de mon bien et de mes dettes, des charges et des procès que j’avois. Je le portai à Versailles, et je fis demander à M. de Beauvilliers un temps où je pusse lui parler secrètement, à loisir et tout à mon aise. Louville fut celui qui le lui demanda. C’étoit un gentilhomme de bon lieu, dont la mère l’étoit aussi, la famille de laquelle avoit toujours été fort attachée à mon père et qu’il avoit fort protégée dans sa faveur, et longtemps depuis par M. de Seignelay. Louville, élevé dans ce même attachement, avoit été pris, de capitaine au régiment du roi infanterie, pour être gentilhomme de la manche de M. le duc d’Anjou, par M. de Beauvilliers, à la recommandation de mon père, et M. de Beauvilliers, qui l’avoit fort goûté depuis, ne l’avoit connu, quoique son parent, que par mon père. Louville étoit d’ailleurs homme d’infiniment d’esprit, et qui, avec une imagination qui le rendoit toujours neuf et de la plus excellente compagnie, avoit toute la lumière et le sens des grandes affaires et des plus solides et des meilleurs conseils.

J’eus donc mon rendez-vous, à huit heures du soir, dans le cabinet de Mme de Beauvilliers, où le duc me vint trouver seul et sans elle. Là, je lui fis mon compliment, et sur ce qui m’amenoit, et sur ce que j’avois mieux aimé m’adresser directement à lui, que de lui faire parler comme on fait d’ordinaire dans ces sortes d’affaires ; et qu’après lui avoir témoigné tout mon désir, je lui apportois un état le plus vrai, le plus exact de mon bien et de mes affaires, sur lequel je le suppliois de voir ce qu’il y pourroit ajouter pour rendre sa fille heureuse avec moi ; que c’étoient là toutes les conditions que je voulois faire, sans vouloir ouïr parler d’aucune sorte de discussion sur pas une autre, ni sur le plus