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MONTCHEVREUIL ET SA FEMME.

La Scarron devenue reine eut cela de bon qu’elle aima presque tous ses vieux amis dans tous les temps de sa vie. Elle attira Montchevreuil et sa femme à la cour où les Villarceaux trop libertins ne se pouvoient contraindre ; elle voulut Montchevreuil pour un des trois témoins de son mariage avec le roi ; elle lui procura le gouvernement de Saint-Germain en Laye, l’attacha à M. du Maine, le fit chevalier de l’ordre avec le fils de Villarceaux, au refus du père, en 1688, qui l’aima mieux pour son fils que pour lui-même, et mit sous la conduite de Mme de Montchevreuil Mlle de Blois jusqu’à son mariage avec M. le duc de Chartres, après avoir été gouvernante des filles d’honneur de Mme la Dauphine, emploi qu’elle prit par pauvreté.

Montchevreuil étoit un fort honnête homme, modeste, brave, mais des plus épais. Sa femme, qui étoit Boucher-d’Orsay, étoit une grande créature, maigre, jaune, qui rioit niais, et montroit de longues et vilaines dents, dévote à outrance, d’un maintien composé, et à qui il ne manquoit que la baguette pour être une parfaite fée. Sans aucun esprit, elle avoit tellement captivé Mme de Maintenon qu’elle ne voyoit que par ses yeux, et ses yeux ne voyoient jamais que des apparences et la laissoient la dupe de tout. Elle étoit pourtant la surveillante de toutes les femmes de la cour, et de son témoignage dépendoient les distinctions ou les dégoûts et souvent par enchaînement les fortunes. Tout jusqu’aux ministres, jusqu’aux filles du roi, trembloit devant elle ; on ne l’approchoit que difficilement ; un sourire d’elle étoit une faveur qui se comptoit pour beaucoup. Le roi avoit pour elle une considération la plus marquée. Elle étoit de tous les voyages et toujours avec Mme de Maintenon.

Le mariage de M. du Maine causa une rupture entre Mme la princesse et la duchesse d’Hanovre, sa sœur, qui avoit fort désiré M. du Maine pour une de ses filles, et qui prétendit que M. le Prince lui avoit coupé l’herbe sous le pied. Elle vivoit depuis longtemps en France avec ses deux