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d’un savant, d’un homme de lettres, d’un banquier, surpasse-t-elle aujourd’hui celle d’un administrateur, d’un juge, d’un ministre ? La réponse est dans la bouche de tout le monde, et ne conclut rien abstractivement contre l’importance et la dignité des fonctions de ministre, de juges et d’administrateurs.

Quant au mérite et à l’importance individuels d’un monarque ou d’un prince, dans les États régulièrement constitués, ils se composent bien moins de sa capacité positive que de la droiture de son jugement et de l’excellence de ses intentions. Si le premier est un homme supérieur, tant mieux pour lui, tant pis quelquefois pour l’État. La qualité qui lui est essentielle, et celle sur l’examen de laquelle l’attendent ou les anathèmes ou les bénédictions de la postérité, c’est d’être loyal dans ses promesses, et d’aimer franchement le peuple. Ce n’était pas un homme d’État que Louis XII ; et sous le rapport des aptitudes spéciales, rien n’était plus facile que de le remplacer : mais c’était le père du peuple. Sa perte fut immense ; est-elle irréparable ? L’occasion est belle aujourd’hui pour prouver que non.

J’ai opposé mes idées a celles d’un homme dont les intentions patriotiques me paraissent fort respectables, mais quoique M. de Suint-Simon me semble s’être égaré dans le principe de sa théorie, il ne faut pas croire que son livre ne soit éminemment utile et remarquable par les vérités de détails et par les ingénieux développements dont il est semé. Ses idées sur la manière nouvelle d’écrire l’histoire, quoiqu’elles portent encore l’empreinte de quelque exagération, méritent néanmoins d’être méditées, et son tableau des révolutions du système politique en Europe est surtout d’un observateur aussi habile que judicieux. Il a bien raison de conclure que le temps est venu où les pouvoirs vont être forcés de céder aux capacités, et où les gouvernements ne se soutiendront que par l’examen. Leur lutte pour s’y dérober est celle qui a eu lieu de tous les temps, et qui se renouvelle encore au moment même ou j’écris. Les fausses espérances dont se bercent ceux qui sont assez aveugles pour engager ce combat viennent de ce qu’a plusieurs époques du monde, la raison a rétrogradé devant la force ; ils ne réfléchissent