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la coutume du temps, les vers les plus médiocres émaillaient ce « poème », et un lettré comme Gounod, un novateur, un rénovateur plutôt, rêvant, comme dans l’ancien opéra français, comme chez Gluck, l’union intime de la note et de la parole, l’expression musicale d’une belle déclamation, était bien à plaindre, pressant de tels navets sur son cœur. On les a beaucoup reprochés à Scribe, ces mauvais vers, et bien injustement : il croyait devoir faire ainsi. On professait couramment alors que les bons vers nuisaient à la musique, et qu’il fallait au musicien, pour ne pas gêner son inspiration, des paroles quelconques destinées à être tripotées (on dirait aujourd’hui « tripatouillées ») en toute liberté. Le public se faisait gloire de ne pas écouter les « paroles », et la graine de ce public n’est pas perdue.

Que pouvait tirer le musicien de cette pièce boiteuse et sans style, sinon une œuvre inégale et incomplète ? Son entourage, cependant, s’attendait à un grand succès, et la curiosité générale était par avance fort excitée. Si la Nonne Sanglante ne réussit pas, disait-on, Gounod est perdu. La Nonne Sanglante eut douze représentations, et Gounod ne fut pas perdu pour cela, mais son étoile subit une éclipse. On ne se gênait pas pour déclarer qu’il était « vidé », que rien de bon ne sortirait désormais de sa plume. Sans partager ces opinions pessimistes, j’avais été fâcheusement surpris par certaines défaillances de cet opéra déconcertant qui renfermait