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pour collaborateur. Le païen nourri de poésie classique, toujours prêt à se réveiller en lui, trouvait ici un nouvel aliment. Quoi de plus séduisant dans toute l’antiquité que cette Odyssée et quel homme paraissait alors mieux placé que Ponsard pour lui donner une forme nouvelle ? On trouvera, si l’on veut, dans les Mémoires d’Alexandre Dumas père, une étude très détaillée sur cet Ulysse, où les qualités et les défauts se heurtent de si étrange façon. Le grand écrivain constate que les meilleurs vers y sont justement ceux destinés à la musique ; les chœurs des Nymphes, particulièrement, sont à noter, et la savoureuse mélopée qui s’unit à ces vers délicats en rehausse le charme. Cela ne ressemble à rien de ce qui avait été fait auparavant ; le jeune maître avait découvert là un petit monde tout nouveau, quelque chose comme une Tempé émaillée de fleurs, où bourdonne l’abeille, où courent les ruisseaux, vierge encore des pas de l’homme.

Gounod jouait du piano fort agréablement, mais la virtuosité lui manquait et il avait quelque peine à exécuter ses partitions. Sur sa demande, j’allais, presque chaque jour, passer avec lui quelques instants, et, sur les pages toutes fraîches, nous interprétions à nous deux, tant bien, que mal — plutôt bien que mal — des fragments de l’œuvre éclose. Plein de son sujet, Gounod m’expliquait ses intentions, me communiquait ses idées, ses désirs. Sa grande préoccupation était de trouver sur la palette orchestrale une belle couleur ; et loin de prendre