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— Je voudrais bien savoir, lui répliquai-je, comment ils sont faits ?

— Je vais te le dire. Ils sont mauvais, et je ne te les montrerai pas.

On ne saurait imaginer de quel air de bonhomie narquoise il prononçait ces paroles. Personne n’a vu ces quatuors : ils ont disparu, comme ceux qu’on avait exécutés l’année précédente et auxquels j’ai fait allusion plus haut.

Ce perpétuel souci de l’expression qui le hantait, il l’avait trouvé dans Mozart, on peut dire même qu’il l’y avait découvert. La musique de Mozart est si intéressante par elle-même qu’on s’était habitué à l’admirer pour sa forme et pour son charme, sans songer à autre chose ; Gounod sut y voir l’union intime du mot et de la note, la concordance absolue des moindres détails du style avec les nuances les plus délicates du sentiment. C’était une révélation de lui entendre chanter Don Giovanni, le Nozze, la Flûte enchantée. Or, en ce temps-là on professait ouvertement que la musique de Mozart n’était pas « scénique », bien que toujours le morceau y soit modelé sur la situation. En revanche, on déclarait « scéniques » les œuvres conçues dans le système rossinien, où les morceaux se développent en toute liberté, faisant bon marché de la situation dramatique, même du sens des mots, même de la prosodie ; Rossini n’était pas allé si loin. A s’élever contre de pareils abus, on risquait fort de passer pour un être dangereux et subversif ;