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la fatigue résultant d’efforts surhumains, ils exigent parfois l’impossible, — on s’en tire comme on peut ; — ceux de Liszt n’encourent pas cette critique. Ils demandent à l’orchestre tout ce qu’il peut donner, mais rien de plus.

Liszt, comme Berlioz, fait de l’Expression le but de la musique instrumentale, vouée par la tradition au culte exclusif de la forme et de la beauté impersonnelle. Ce n’est pas qu’il les ait pour cela négligées. Où trouver des formes plus pures que dans la deuxième partie de Faust (Gretchen), dans le « Purgatoire », de Dante, dans Orphée ? Mais c’est par la justesse et l’intensité de l’expression que Liszt est réellement incomparable. Sa musique parle, et pour ne pas entendre son verbe, il faut se boucher les oreilles avec le tampon du parti pris, malheureusement toujours à portée de la main. Elle dit l’indicible.

Peut-être eut-il le tort, — excusable, à mon avis, — de trop croire à son œuvre, de vouloir l’imposer trop vite au monde. Par l’attraction d’un prestige presque magique et d’une séduction que peu d’hommes ont possédée à un pareil degré, il avait groupé autour de lui et fanatisé toute une pléiade de jeunes têtes ardentes qui ne demandaient qu’à partir en guerre contre les antiques formules et à prêcher la bonne parole. Ces écervelés, que n’effrayait aucune exagération, traitaient les Symphonies de Beethoven, à l’exception de la neuvième, de « vieilles bottes éculées », et tout le reste