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être pas assez remarqué, à mon sens, que dans le moindre de ses arrangements la main du compositeur se fait sentir ; le « bout de l’oreille » du grand musicien y apparaît toujours, ne fût-ce qu’un moment.

Pour un tel pianiste, évoquant par le piano l’âme de la musique, la qualification de « pianiste » cesse d’être une injure, et « musique de pianiste » devient synonyme de « musique de musicien ». Qui donc, d’ailleurs, à notre époque, n’a pas subi la puissante influence du piano ? Cette influence a commencé avant le piano lui-même, avec le « Clavecin bien tempéré » de Sébastien Bach. Du jour où le tempérament de l’accord eut amené la synonymie des dièses et des bémols et permis de pratiquer toutes les tonalités, l’esprit du clavier entra dans le monde (l’invention du mécanisme à marteaux, secondaire au point de vue de l’art, n’ayant produit que le développement progressif d’une sonorité inconnue au clavecin et d’immenses ressources matérielles) ; cet esprit est devenu le tyran dévastateur de la musique par la propagation sans limites de l’hérétique en harmonie. De cette hérésie est sorti presque tout l’art moderne : elle a été trop féconde pour qu’il soit permis de la déplorer ; mais ce n’en est pas moins une hérésie destinée à disparaître en un jour probablement fort éloigné, mais fatal, par suite de l’évolution même qui lui a donné naissance. Que restera-t-il alors de l’art actuel ? Peut-être le seul