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malheureusement trop souvent) et la dernière partie sont lyriques ; celle-ci même est dramatique, traitée en forme de finale d’opéra ; le reste est symphonique, avec de rares apparitions chorales reliant par un fil ténu la première partie à la dernière et donnant de l’unité à l’ensemble. Ni lyrique, ni dramatique, ni symphonique, un peu de tout cela : construction hétéroclite où la symphonie prédomine, tel est l’ouvrage. A un pareil défi au sens commun il ne pouvait y avoir qu’une excuse : faire un chef-d’œuvre, et Berlioz n’y a pas manqué. Tout y est neuf, personnel, de cette originalité profonde qui décourage l’imitation. Le fameux Scherzo, « la Reine Mab », vaut encore mieux que sa réputation ; c’est le miracle du fantastique léger et gracieux. Auprès de telles délicatesses, de telles transparences, les finesses de Mendelssohn dans le Songe d’une nuit d’été semblent épaisses. Cela tient à ce que l’insaisissable, l’impalpable ne sont pas seulement dans la sonorité, mais dans le style. Sous ce rapport, je ne vois que le chœur des génies d’Obéron qui puisse soutenir la comparaison.

Roméo et Juliette me semble être l’œuvre la plus caractéristique de Berlioz, celle qui a le plus de droits à la faveur du public. Jusqu’ici, le succès populaire, non seulement en France, mais dans le monde entier, est allé à la Damnation de Faust ; et il ne faut pas désespérer néanmoins de voir un jour Roméo et Juliette prendre la place victorieuse qui lui est due.