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là qu’il fallait chercher la langue du drame musical, que cette musique chantait, mais ne parlait pas ; et vous avez eu tort de le croire, car on vous a trompés. L’erreur est d’ailleurs facile : cette musique est tellement parfaite au point de vue exclusivement musical et vocal, elle se suffit si complètement à elle-même qu’on peut l’admirer sans songer à autre chose. Or, par un miracle de l’art, cette musique, tout en chantant comme on n’a jamais chanté, parle aussi bien qu’il se peut ; dans Don Giovanni, la justesse et la finesse de l’expression ne sont pas moins admirables que la perfection de la forme.

Et nous ne trouvons pas seulement dans cette œuvre géniale une vraie langue de drame lyrique ; nous y trouvons aussi le symbole, le personnage élargi, grandi jusqu’au type et à la synthèse. Entre la Donna Anna qu’avait esquissée da Ponte et celle dessinée et peinte par Mozart, il y a un abîme ; dans la création de cette étonnante figure, Mozart a montré qu’il n’était pas seulement le plus exquis des musiciens, mais un poète et un psychologue. Il faudrait pouvoir faire des citations pour montrer comment, avec des moyens tout différents de ceux usités aujourd’hui, par l’ampleur du style, par les modulations, par l’instrumentation, l’auteur est arrivé à personnifier en cette jeune patricienne la Némésis implacable, l’âme de toutes les femmes séduites et trompées poursuivant le coupable jusqu’à la mort ; de plus, comme l’a si bien expliqué