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compositeur allemand, n’admettant comme vraiment russe que l’école ultramoderne dont M. Balakireff est l’illustre et très remarquable chef. A ce point de vue simpliste, Auber ne serait pas un compositeur français, Weber et Sébastien Bach lui-même ne seraient pas des composituers allemands ! car le macaroni de Rossini figure sur la table d’Auber, les rayons du soleil d’Italie dorent les vitraux de Sébastien Bach, et lorsque Weber écrivait l’air célèbre du Freischütz, il ne faisait pas autre chose que d’habiller somptueusement le classique air italien, cabalette comprise. Qu’on le veuille ou non, Glinka et Rubinstein sont foncièrement russes malgré leurs alliances, et leur originalité, leur goût de terroir subsiste en dépit de tout ; l’âme slave trouve en eux son expression. C’est ainsi qu’ils sont jugés par la grande majorité des Russes eux-mêmes.

Ainsi que Liszt, Rubinstein a connu la déception de ne pas voir les succès du compositeur égaler ceux du virtuose, et répondre à l’effort tenté, on peut même dire au talent dépensé. Si Liszt garde la gloire de l’invention féconde du « poème symphonique », Rubinstein a pour lui celle d’avoir cultivé tous les genres, depuis l’opéra et l’oratorio jusqu’au lied, depuis l’étude et la sonate jusqu’à la symphonie, en passant par toutes les formes de la musique de chambre, de la musique de concert. Tous deux ont porté la peine de leurs prodigieux succès personnels et de la tendance fâcheuse à la spécialisation dont le public ne sait point se défendre ; tous