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J’ÉTAIS sur la mer. Un albatros a passé. Cruellement, selon mon instinct de conquête, tout haut, j’ai regretté mon arme.

Alors on m’a dit :

— Vous en voulez un ?

— Comment ?

— Un vivant.

— Un vivant ? Comment l’avez-vous ?

— On le prend tout petit au nid, puis on lui coupe les ailes pour qu’il ne s’envole pas.

Et l’homme, paisiblement, expliquait cela !

J’étais horrifiée. J’ai songé à cet albatros condamné au sort que j’endure.

La vie, aussi cruelle que l’homme dont elle n’est que l’éducatrice, a rogné mes ailes sans brûler au fer rouge les racines du désir qui repoussent avec mes ailes. Et je sens l’atroce lutte qui se nourrit de ma jeunesse.

Alors j’ai dit :

— Je veux cet albatros, mais donnez-le moi sans lui couper les ailes.

— Mais il partira.